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Du coté de Gokyo

Gokyo ou le règne de Minéral Maximus. Un Empire frais constitué de hautes roches serties d’eaux diamantines. Il faut marcher quelques jours pour arriver là-haut… les lacs de Gokyo se trouvent dans le Khumbu, à l’est du Népal, dans une vallée parallèle à celle qui mène au camp de base de l’Everest. Les chemins de trek sillonnent cette région près de la frontière tibétaine et mènent vers l’inhospitalité des plus hauts sommets du monde.

Premier trek au Népal. Je l’ai fait sans guide ni porteur. Ce n’est pas l’option la plus répandue mais cela reste raisonnablement envisageable. Les chemins sont assez clairement délimités et le nombre de trekkeurs dans la région fait que l’on reste rarement ou trop longtemps isolé. Mon sac pesait 12 kilos. Un poids honorable… j’ai croisé un américain qui s’en est bien tiré avec 16 kilos sur le dos. Toutefois comme certains dénivelés sont assez longs ou importants mieux vaut partir léger.

[box]Le principal risque vient du MAM (Mal Aigu des Montagnes). Quand on est seul, personne ne vous dit de vous arrêter ou de redescendre immédiatement. Mieux vaut donc être attentif aux symptômes (fortes migraines, fatigue etc.) et ne pas trop forcer sur la machine en respectant des périodes d’acclimatation. Tous les trekkeurs avec qui j’ai discuté sur ces routes ont rencontré au moins une personne – ou une personne qui en a rencontré une autre etc. – qui a connu un sévère problème lié aux mal des montagnes. A Namche Bazar on croise parfois quelques touristes amères, qui ont du renoncer à une bonne partie de leur trek, et attentent tranquillement le retour de leur groupe. A part cet éventuel désagrément ce n’est que du bonheur![/box]

Voici le déroulé :

Jour 1 : Lukla – Phakding ~ 3 heures

Afin de bien se mettre dans l’ambiance, la liaison entre Katmandou et Lukla (2 840 m) est assurée par des petits coucous qui atterrissent sur l’une des pistes les plus dangereuses au monde. Toutefois, vu le trafic et le nombre d’avions qui enchaînent les aller/retours sans encombres le voyage est quand même assez sûr. Le dernier accident remonte à 2008. Pour vous donner une petite idée un atterrissage à Lukla ressemble à ça :

En revanche quand y’a des embouteillages ça devient tout de suite plus rock n’roll!

La première journée de marche est assez tranquille et sans difficultés. On longe la Dudhk Kosi River dans un bel environnement boisé en remontant vers le nord. On passe sur les premiers ponts et quelques villages sherpas permettent de se désaltérer sans pression autour d’une bonne tasse de thé. Vers Yulning apparaît le sommet enneigé du Kusum Khangkaru (6 370 m). Après-midi lecture et nuit dans le village de Pharkding (2 610 m).

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Jour 2 : Pharding – Namche Bazar ~ 6 heures

Le début de journée commence sur le même rythme que la vieille sur un terrain qui ne présente aucune difficulté. Un gentil chien me tient compagnie pendant deux bonnes heures… à un moment je voulais même qu’il vienne avec moi jusqu’à Gokyo mais -devinant sûrement mes intentions-  il a du se rabattre fissa sur un os. Restent les troupeaux de yak… malheureusement plus occupés à trimbaler leurs charges qu’à vouloir me tenir compagnie. L’entrée du parc de Sagarmatha se paye (3 000 roupies) peu après Monjo. Puis on descend au niveau de la rivière vers Larja Dobhan (2 830 m) et c’est ici que tout commence! Une belle montée d’environ 600 mètres de dénivelé pour atteindre Namche Bazar (3 440 m). Au court de la montée on a une première vue sur l’Everest.

Même si elle n’a rien d’insurmontable cette première difficultté permet non seulement de bien se tester mais surtout d’admirer l’incommensurable force des sherpas et autres porteurs dans la région. Ces gens trimbalent pendant de longues heures et sur leur dos toutes sortes de marchandises (bobonnes de gaz, planches en bois, eau etc.) pour ravitailler les villages du Khumbu. J’en ai même vu un qui transportait… un lit! A part les mineurs de Potosi j’ai rarement vu un boulot aussi difficile. Bien entendu le salaire de ces forçats est inversement proportionnel à la charge physique du travail.

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Jour 3 : Namche Bazar – Kumjung – Dhole ~ 6 heures

Il est généralement recommandé de passer une journée à Namche Bazar afin de s’acclimater à l’altitude. Namche ressemble à un gros bourg de montagne. Le dernier où l’on peut consulter ses mails, acheter des accessoires de montagne, des bouquins des médicaments etc. Je ne ressentais pas encore les effets de l’altitude et décidais de m’avancer prudemment vers Khumjung (3 780 m) histoire de marcher un peu… Sur le chemin se trouve l’Everest view, l’hôtel le plus haut du monde.

Khunjung vers 10 heures du matin et je viens de déjeuner… que faire? La journée va être longue alors autant en profiter et s’avancer jusqu’à Mong La (3 960 m) pour ensuite redescendre vers Phortse Thanga (3 680 m). Et puis quitte à arriver là bas autant fournir un dernier effort et traverser la forêt pour atteindre Dhole (4 110 m). Bref pour une journée de repos j’avais en fait pas mal avancé et me retrouvais avec un jour d’avance sur mon planning presque 700 mètres plus haut.

Cette journée fût assez fatigante mais les paysages sont ici vraiment époustouflants! Bien qu’ils se trouvent encore à plusieurs jours de marche les plus hauts sommets du Khumbu semblent enfin à portée de main. Au loin la pyramide imparfaite de l’Everest (8 848 m) qui jouxte le Lhotse (8 516 m). Au plus près le Thamserku (6 618 m) et l’immanquable Ama Dablam (6 814 m), que j’apprécie particulièrement pour sa forme de grand fantôme effrayant recouvert d’un drap blanc.

Le soir en revanche j’avais un peu mal à la tête…

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Jour 4 : Dhole – Machermo ~ 3 heures

Dhole est un petit village de quelques baraquements engoncé entre deux collines. Avec l’altitude les paysages changent. Il n’y a plus de forêts, les nuits sont très fraîches, la végétation s’appauvrit et les migraines ne partent pas. Machermo (4 465 m) n’est pas très loin, je décide donc de m’avancer un peu le long de la vallée. Sur le chemin au loin apparaît le Cho Oyu (8 201), frontière avec le Tibet, qui servira de point de mire jusqu’à Gokyo. La journée de marche ne fût pas très longue. Avec la migraine c’était juste ce qu’il me fallait. Les fins de journées sont diablement froides.

[box]Dhole et Machermo sont construits sur le même modèle. Le village dispose d’un petit poste de secours – ouvert en 2006 par The International Porter Protection Group (IPPG) – initialement destiné à aider les porteurs. Certains porteurs viennent en effet de villages situés si bas qu’ils n’ont qu’une faible expérience de l’altitude. Les conditions de travail harassantes n’arrangent rien. Certains porteurs sont parfois très exposés au MAM et plus rarement… à la mort. Le poste de secours est dirigé par de jeunes médecins volontaires. Tous les jours vers 15h00 ils proposent aussi un petit speech pour informer certains trekkeurs des dangers du MAM. Vous pouvez visiter leur site ici.[/box]

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Jour 5 : Repos à Marchermo

Journée de repos afin de m’acclimater davantage à l’altitude migraineuse. On ne fait pas grand chose à Machermo. Le matin il fait froid : mon eau est aussi glacée que celle de la bassine à « chasse d’eau » et la bruine sur ma fenêtre est totalement gelée. Se lever la nuit pour un petit besoin pressant relève du genre d’expédition où l’on sert très fort ses dents. Les journées sont quand même plus agréables. Entre une petite balade, quelques thés et beaucoup de lecture on arrive tranquillement jusqu’au « soir » (17/18h) pour discuter avec d’autres trekkeurs, des guides et des porteurs dans la salle commune -et chauffée!- de la lodge.

Jour 6 : Machermo – Gokyo ~ 4 heures

Le début du parcours longe la vallée jusqu’à un belle montée qui mène jusqu’au premier -petit! -lac. On entre alors dans un autre monde entouré de pierres et d’eau! Au loin trône toujours le Cho Oyu. Le deuxième lac, couleur émeraude et déjà plus grand, se trouve à peine 30 minutes plus loin. Situé au bord du troisième lac Gokyo (4 750 m) est alors tout proche. Les alentours du village sont fabuleux… avec d’un côté le grand bleu du Dudh Pokhari et de l’autre le glacier Ngozuma -le plus grand glacier du Népal- qui alimente les étendues d’eau de la vallée. Avec un faible vent seul le « bruit » résonant du glacier (comme celui de roches concassées) rompt la tranquillité du lieu. Un nuage de neige s’échappe du sommet du Cho Oyu. Tout respire la force ici. On se sent tout petit.

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Jour 7 : Ascension du Gokyo Ri ~ 2 h 30 puis descente vers Machermo ~ 2 h

Il faut deux bonnes grosses heures pour grimper cette colline himalayenne (5 357 m). En bas le village semble minuscule. Mais face aux panoramas qui s’offrent ci-haut on ne lui prête guère d’attention. Comme coloriés sur des roches plates les trois lacs apparaissent à la file indienne. Le glacier s’étend plus loin comme un grand désert lunaire et plus haut… on admire pas moins de cinq sommets de plus de 8 000 mètres! L’Everest (8 848 m), le Lhotse (8 383 m), Makalu (8 481 m), le Kangchenjunga (8 586 m) et le Cho Oyu (8 201 m). Il y a des drapeaux de prière au peu partout. J’étais au sommet de mon trek.

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Retour à Gokyo en fin de matinée. J’ai une très forte migraine pour entamer la réflexion du retour… emprunter le même chemin ou une vallée parallèle via le Renjo pass? J’opte finalement pour la première solution. D’abord à cause d’une tendinite au genou qui dans les descentes risque d’être handicapante à la longue. Ensuite à cause des étapes relativement longues que nécessitent le deuxième itinéraire. J’ai rencontré deux personnes qui ont manqué de se perdre au niveau du pass dont une qui a terminé sa journée à la lampe frontale… vu que 1) j’étais quand même un peu rincé et 2) je n’ai pas de lampe frontale j’ai préféré revenir par le même itinéraire.

Un bol de soupe et des pâtes! Hop… direction Machermo.

Jour 8 : Machermo – Namche Bazar  ~ 7 h

Très longue journée de marche… avec un genou douloureux qui ralentit la progression. J’esquive Khumjung pour éviter le dénivelé. Je marche une bonne heure en compagnie d’un porteur qui  trimbale un vingtaine de kilos sur son dos. J’en recroise – puis reperd puis recroise – d’autres rencontrés dans une lodge quelques jours plus tôt.

Jour 9 : Namche Bazar – Lukla ~ 7 h

Nouvelle et dernière grosse journée de marche. Le genou ne s’arrange pas… je me faisais dépassé par pas mal de gens dans la descente après Namche. Damn! Pour cette descente j’aurais préféré monter….Quelques pauses et thés plus tard le bruit d’un avion résonne derrière une montagne. Lukla n’est plus très loin.

Jour 10 : Lukla ou l’errance des sans billets

J’avais une journée d’avance sur mon planning. Autant tenter de prendre un avion un peu plus tôt et retourner à Katmandou. La belle affaire! La gestion de l’aéroport de Lukla relève d’un roman kafkaïen. Comme beaucoup d’autres qui étaient arrivés avant moi j’ai échoué dans ma tentative… en revanche on observe quelques règles a priori immuables dans le fonctionnement de cet aéroport :

1- Il n’y a aucune information. Pour l’esquisse d’un début d’information sur quoi que ce soit il faut aller dans le bureau de la compagnie. Attendre le chef de l’aéroport et se poster devant son bureau… c’est à dire dans la partie réservée au personnel.

2- Le chef décide de tout. Normal il est chef. Il doit y avoir une dizaine de personnes qui travaille dans cet aéroport mais pour l’essentiel je n’ai pas su saisir quelles étaient leurs fonctions. Dans le bureau de Tara Air il y a un vieux monsieur en bonnet qui tamponne des documents. Sa fonction doit être de tamponner.

3- Il faut confirmer son billet. C’est impératif! Sinon il y a de fortes chances pour que vous ne soyez sur aucune liste de décollage. Pour les groupes ce sont les guides qui s’en occupent. Quand on est seul il faut prendre son mal en patience et poireauter dans le bureau Tara/Yeti Air situé à Lukla en espérant que tout se passe bien. Quand on a pas de billet ça peut très vite devenir compliqué.

4- Quand il fait mauvais il n’y a plus de vols. Et c’est préférable… le lendemain de mon arrivée il a eu une énorme averse puis de la neige en début d’après-midi. La journée était terminée. J’ai rencontré une femme qui, il y a quelques années, était restée bloquée 5 jours à Lukla à cause du mauvais temps. Elle a préféré descendre prendre un bus à Jiri (5 jours de marche) tellement qu’elle n’en pouvait plus.

5- On rencontre des gens qui sont là depuis 2, 3 ou 4 jours et qui tentent de dégoter une place dans un avion… ce ne sont que des personnes sans guides. Se débrouiller puis s’emmerder à plusieurs au final c’est pas mal.

6- On prend rarement l’avion réservé… à un moment donné tout se décante dans un processus qui échappe à toute logique.

Jour 11 : Retour a Katmandou

Finalement on arrive à prendre un avion…. les trois premières choses les plus appréciables au retour du trek furent de 1) Prendre une douche 2) Mettre des vêtements propres et 3) Prendre une bière (ou deux…). A part les assoiffés qui anticipent le point 3 avant le 1 je suis persuadé qu’une majorité de marcheur suit cette logique reviviscence.

Il y a pas mal de petites affaires pratiques à emporter en trek de montagne : tablettes micropur, grosses chaussettes, bâtons de marche, lampe frontale etc. En cas d’oublie on trouve de tout à Namche Bazar. Vu que les journées de marche s’arrêtent maximum vers 16h00 j’insiste ici sur un point qui -surtout en solo- peut vous sauver certains longs après-midi : les bouquins! On trouve souvent les mêmes livres dans les librairies : Le léopard des neiges de Peter Matthiessen, Sept ans d’aventures au Tibet de Heinrich Harrer, Annapurna Premier 8 000 de Maurice Herzog etc. Into Thin Air de Jon Krakauer m’a particulièrement marqué. Le livre revient sur une expédition catastrophique au sommet de l’Everest en 1996 à laquelle l’auteur a participé et survécu. Il raconte par quels processus cette montagne est devenue l’objet d’expéditions commerciales concurrentes, la démesure de l’effort et la folie qui s’empare des grimpeurs -souvent peu expérimentés- au péril de leur vie. L’ensemble est très bien écrit et rudement bien documenté. A lire en altitude.

7 réflexions au sujet de « Du coté de Gokyo »

  1. Bonjour,
    je suis allé 3 fois au Khumbu..en haute saison ( octobre)…Groupe autonome avec agence locale pour guide et porteurs.
    ..donc 6 vols ( aller/retour ) Khatmandou – Lukla……… en 1999, 2003 et en 2007 = aucun problème d’avion.

  2. Bonjour Charles, merci pour cet article, il fait rêver :)
    Serait-il possible de discuter ensemble sur ce trek ? Le tien date de 2012, mais je pense que tu peux avoir des réponses à qqes unes de mes questions :), j’aimerais faire ce trek au mois d’avril 2018 ;)
    Parmi: cmt peut-on réserver le vol A/R pour lukla? Sur place uniquement ? Ou bien: quels sétaient les étapes où rester 2 nuits veillent le coup pour un petit détour, pour une balade-detour et profiter du paysage?
    J’en aurai d’autres ^^
    Merci pour ton retour Charles. Bien à toi, Chloé

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