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Samarkand : rêves et réalité

A Samarcande, le temps se déroule de cataclysme en cataclysme, de table rase en table rase. Quand les Mongols ont détruit la ville au XIIIème siècle, les quartiers habités ont dû être abandonnés ; les survivants sont allés reconstruire leurs demeures sur un autre site, plus au sud. Au point que toute la vieille ville, la Samarcande des Seldjoukides, peu à peu recouverte par des couches superposées de sable, n’est plus qu’un vaste champ surélevé. Sous terre vivent trésors et secrets ; en surface, des pâturages. Un jour, il faudra tout ouvrir, déterrer les maisons et les rues. Ainsi libérée, Samarcande saura nous conter son histoire.

Samarcande, Amin Maalouf, Livre de Poche, p. 272

Cette histoire est aujourd’hui aux mains des archéologues. La Samarcande rêvée des Seldjoukides (du XIème au XIIIème sicèle) se trouve au nord de la ville, sur le site d’Afrasiab, près du musée éponyme où survivent quelques reliques dépoussiérées. C’est cet univers que le narrateur de Samarcande était venu chercher. C’était au début du XXème siècle et il n’y a rien trouvé. On ne va pas à Samarcande voir une ville mais un imaginaire… et au jeu de la confusion on risque souvent la déception.

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They are triumphant, Vasily Vereshchagin, 1872, Tretyakov Gallery

Samarcande appartient au cercle très fermé des villes aux noms évocateurs. Mandalay, Valparaiso, Samarcande… des noms forts qui évoquent quoi? A chacun de sa réponse. Comme d’autres je suis venu à Samarcande chercher un bout d’histoire, de poèmes ou d’images glanées au fil de rêves et de souvenirs. Je suis venu flairer les traces de Tamerlan, d’Omar Khayyam et de Corto Maltese. Ce pouvoir d’évocation fait sa force… et son insuffisance! Car les rêveurs de mon genre oublieraient presque que Samarcande est une ville avant d’être un rêve! Et quand on se retrouve, aujourd’hui, dans cette cité aux facettes aussi distinctes qu’une poule d’un lama… le rêve s’apparente à la lente digestion d’un plov hallucinogène!

Je ni pas vu une mais quatre Samarcande:

1) La Samarcande disparue, celle d’Afrosiab, qui cumule dans la terre 1 500 ans d’histoire et qui fût complètement rasée par Genghis Khan (1162-1227). Le musée évoqué plus haut contient des pièces intéressantes et une puissante clim! On y relluque les plus vieux pions d’échec jamais trouvés et une gigantesque fresque (en restauration) du VIIème siècle qui témoigne de la richesse de cette cité disparue.

2) La Samarcande touristique. C’est la plus évidente… celle qu’on ne manque pas et que l’on voit sur toutes les photos. La ville touristique correspond aux énormes monuments construits par Tamerlan (1336-1405) et ses descendants, au moment où ce prolifique conquérant décida d’installer sa capitale à Samarcande. Énorme c’est le mot… Plus qu’à Khiva et à Boukhara c’est ici que j’ai trouvé les plus monumentales mosquées et medersas d’Ouzbékistan.

Le Registan est le complexe le plus célèbre: cette place bordée par les medersas d’Ulug-Beg, de Chir Dor et de Tilla Kari provoque la satisfaction enchantée de tous les voyageurs face à un monument symbolique. Les minarets penchent légèrement comme pour rappeler les modestes limites de la construction humaine. Mais point de limites dans l’illusion… les sublimes motifs au plafond plat de la mosquée Tilla Kari donnent l’impression de plonger vos yeux dans un dôme orné d’or!

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Le plafond plat de la mosquée Tilla Kari – Registan

Plus au sud on rejoint l’imposante mosquée Bibi Khanoum par une horrible Tachkent Street, une rue vide aux pavés neufs et complètement artificielle où l’on ne trouve que des boutiques. La transition pédestre est un authentique crève-cœur! On continue jusqu’au mausolée de Chah-i-Zindi. Un véritable bijoux composé de sanctuaires où reposent entre de magnifiques faïences des proches de Tamerlan et d’Ulug-Beg. C’est un endroit calme et frais. Celui que j’ai préféré à Samarcande.

La ville regorge d’autres monuments. Rajoutez au moins le mausolée de Gour-e-amir (où est enterré Tamerlan) et l’observatoire d’Ulug-Beg et vous aurez deux bonnes journées de visite à thématique monumentale. Mais il serait dommage de manquer la troisième Samarcande… celle encore vivante (avec des gens… enfin!) que l’on cache comme des pestiférés de la vue des monuments.

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3) La Samarcande cachée sous le tapis… ou plutôt derrière les murs. Des murs qui séparent les principaux monuments des lieux d’habitation. Une véritable hérésie humaine et architecturale qui permet de bien délimiter les lieux touristiques des habitations et de minimiser le contact entre touristes et occupants. On peut bien entendu se rendre derrière ces murs et marcher agréablement dans de charmantes ruelles tortueuses. L’ambiance est plus avenante… on capte quelques « Hello » et on retrouve avec plaisir une atmosphère plus enthousiaste que sur la morne Tachkent Street. Ces murs ont été édifiés par le gouvernement de Karimov en 2009. Un très bon article du Monde des Religions revient sur ce sujet.

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Who am I? Guess… Un descendant de Tamerlan?  :)

4) La Samarcande nouvelle ou russe. Au choix… soit une grande partie de la ville quadrillées par de larges avenues qui s’étendent vers le sud. Cette partie ne m’a pas semblé d’un énorme intérêt (en plus d’y être tombé malade) mais on ne fait pas l’économie de sa traversée pour se rendre à la Gare centrale.

Samarcande est aujourd’hui une ville divisée et il serait dommage de se limiter uniquement à la partie touristique qui manque cruellement de charme. Le gouvernement ouzbek ne facilite pas la tache… Les monuments de Samarcande restent toutefois fabuleux et leur beauté mérite une soigneuse préservation. Cela suffit déjà à attirer une foule de curieux… Cette ville a-t-elle pour autant évoquée mes rêves? Non. On ne va pas à Samarcande voir une ville mais un imaginaire et on en repart avec l’image d’une ville. Au jeu de la confusion on risque souvent la déception. Il est vrai que les rêves sont dans la tête…

6 réflexions au sujet de « Samarkand : rêves et réalité »

  1. Superbe article Charles. C’est clair, Samarcande c’est un rêve. Je suis contant d’y être allé et d’avoir admiré pendant des heures le Registan, mais ce n’est pas la Samarcande de nos rêves. Celle-là n’existe plus, voir même n’a jamais existé d’ailleurs.

    1. Merci Laurent! C’est parfois le problème des villes qui cumulent un joli nom et de belles histoires :) L’imaginaire prend le pas sur une réalité qui n’a peut-être jamais existé! Même si les monuments valent sacrément le coup quand même…

  2. Ton article est bien vu. Et me rappelle plein de souvenirs et de sensations d’il y a six ans. Le nom fait rêver, mais je n’avais pas été déçue par la réalité. Plus complexe que les images de cartes postales imaginées.
    J’ai aimé découvrir les monuments, la façon dont cette ville est « ripolinée » pour écrire l’histoire et la propagande, mais aussi combien elle vit, ses aspects russes, puis, surtout, j’avais rencontré des habitants vraiment très sympas.
    J’ai davantage connu un décalage avec Valparaiso, une autre ville « au nom évocateur », comme tu dis.

      1. J’aurais bien voulu voir comme toi cette ville avant la construction de ces murs avec des marchés et plus de gens autour des monuments! J’ai rencontré une personne qui y était déjà venue il y a quelques années… Elle trouvait que la ville avait diablement changé :)
        Par contre c’est intéressant car pour Valparaiso je n’ai pas été déçu du tout! J’ai adoré cette ville.

  3. Cher auteur de l’article sur Samarcande,

    Je tenais à vous féliciter pour cet article très intéressant sur cette ville mythique de la Route de la Soie. Vos descriptions poétiques m’ont transporté dans un autre monde et m’ont donné envie de visiter cette ville dès que possible. J’ai particulièrement apprécié les détails historiques que vous avez inclus dans votre récit.

    Je me demandais si vous aviez quelques recommandations pour les voyageurs qui souhaitent explorer Samarcande de manière plus approfondie. J’attends avec impatience votre réponse.

    Merci encore pour ce merveilleux récit qui m’a fait rêver.

    Cordialement,
    Un lecteur enthousiaste

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