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Mystère 269 à Tel-Aviv

« Si vous voulez vivre comme vos pairs à New York, à Londres ou à Paris, vous devez faire abstraction des conflits qui déchirent le Moyen-Orient.

C’est tout le dilemme de cette ville »

Gal Uchovsky – réalisateur et scénariste israélien

« The Bubble »… le meilleur surnom de Tel-Aviv. Eytan Fox l’a repris à son compte dans un film où ressort l’hermétisme de cette ville face à ce qui l’entoure. Gaza? les colonies? la Cisjordanie? Oui ça existe… mais dans une bulle le contexte semble si loin et déformé. A Tel-Aviv des badauds fondent sur les terrasses; des passants fument leurs trucs et des avions de chasse fendent le paysage… Tel-Aviv ou le chic d’une ambiance détente résolument orientée nightlife et gay friendly.

C’est aussi l’image de cette ville. Personne ne s’en cache.

TelAviv-Plage

Quittons la plage. En route pour la ville.

Immersion dans Bubble City

Je suis resté dans le sud de la ville entre les sympathiques quartiers de Jaffa et de Florentine. Flâner à Florentine… on sent le quartier à la pointe. C’est jeune et ça bouge. Il y a des couleurs… du mouvement. Pour palper l’ambiance d’un quartier j’aime à regarder ses murs. Ce lieu d’expression est ici fortement barbouillé. Si des types comme lui se « limitent » à des représentations artistiques…

TelAviv-StreetArt

Street Art à Florentine

… d’autres officient dans le message politique! Et pas forcément sur les terrains attendus. Impossible à ce sujet de ne pas remarquer l’omniprésente d’un numéro graffé et reproduit sur tous les murs du quartier:

— « 269 » —

TelAviv-269

Mais qu’est-ce-que c’est que ce numéro?

Il suffit de le voir une fois pour oublier le reste. Porte bonheur? Signe ésotérique? Menace de rébellion communiste? Mes supputations m’emmenèrent partout sauf… à un veau.

Il faut sauver « 269 »

Une définition courte voudrait que 269life soit le chaînon manquant entre la Fondation Brigitte Bardot et l’Armée des douze singes. C’est à peu près ça… avec une dose d’ambition et d’activisme en plus.

TelAviv-Chat

Florentine… chat vegan?

Le mouvement 269life est symboliquement né le 2 octobre 2012 à Tel Aviv. Ce jour-là en pleine rue des militants pour les droits des animaux se sont fait marquer au fer rouge un gros « 269 » en solidarité avec les victimes animales de l’industrie de la viande (attention la vidéo du happening sent le cochon…).

Pourquoi 269? Parce que ce nombre était celui d’un petit veau de l’industrie laitière préalablement sauvé de l’abattoir par ces activistes. Pourquoi le fer rouge? Pour faire le buzz… sur un ressort identitaire. Se faire tatouer un numéro sur le corps en Israël n’est pas anodin. Utiliser le terme « holocauste » comme ces activistes le manient dans plusieurs interviews non plus. Ce cocktail appliqué aux animaux peut sembler violent mais le pire… c’est que ça marche.

Actions chocs et grosse détermination… le mouvement s’est étendu à d’autres pays. La France n’est pas en reste à l’image de cet appétissant banquet sanguin donné en février 2014 à Bastille. « 269 » devient le symbole de la résistance vegan contre l’exploitation massive des « animaux non-humains ».

Tel-Aviv… ville mère de la dernière version du militantisme radical de la défense animale.

Pour ceux qui veulent en (sa)voir plus voici les sites israélien et français de 269life ainsi que la page facebook israélienne. Attention y’a pas que des images de bisounours…

L’avenir de l’homme au poulailler

Balade à Tel-Aviv l’après-midi. Le matin même j’étais à Bethléem… la veille à Hébron. A Florentine quartier trendy je m’attendais à tout… sauf aux ayatollahs de la SPA.

TelAviv-Ogre

L’ogre et la princesse

Il y a comme un malaise… ces préoccupations animales -légitimes ou non ce n’est pas le sujet!- semblent ici en déphasage complet avec la proximité palpable de réels drames humains. Leur succès est d’autant plus dérangeant que Florentine est un quartier d’avant garde et artistique; avec une population éduquée et prétendument critique! Gaza se trouve à seulement 60 km de là… Des gens y sont privés de leurs droits les plus élémentaires tandis que d’autres ici s’insurgent contre « l’oppression » faîte aux animaux! Quand on lit qu’ils agissent « pour que l’humanité ait une chance de survivre et de véritablement évoluer » je dois avouer mon scepticisme sur leur priorisation des choses.

Palestine? Gaza? Discriminations? Oui tout le monde connait. Vivre dans une bulle ne rend pas aveugle. Les initiatives civiles israéliennes pour la paix existent (l’ICAHDMachsom WatchBreaking the silence etc.) mais on en parle moins. Elles sont peut-être moins « médiatiques » et socialement trop clivantes (lire ça et surtout ça!). Avec leurs opérations coup de poing et des images chocs les vegans savent faire parler d’eux. C’est une cause certes mais vu de chez moi le buzz est amer. Comment peut-on évoquer « notre humanité » à Tel-Aviv en pensant plus aux poules qu’à ses voisins?

Les vaches palestiniennes sont-elles aussi concernées par ce projet…?

Lonely Bubble

TelAviv-Picture

Défendre les animaux est une chose. Le faire si radicalement en plein conflit en est une autre. C’est peut-être ça le côté Bubble! Vivre hors contexte et ne plus s’en rendre compte… d’autres exemples sont venus confortés cette impression à l’image de cette incroyable festivité urbaine: la « Guerre de l’eau »!

L’évènement a lieu chaque juillet à Rabin Square. Tout un programme:

« 2014 sera la 10eme année où la guerre de l’eau aura lieu. […] Tout ce que vous devez apporter sera vos pistolets à eau, des seaux, des lunettes ou un équipement de plongée et un sens de l’humour! Pendant quelques heures, les graves problèmes du Moyen-Orient et la pénurie d’eau du pays sont mis de côté pour un bon amusement à l’ancienne! »

http://www.visit-tel-aviv.com/

C’est vrai que les organisateurs ont une bonne manière de valoriser cet « amusement à l’ancienne »:

Non mais quelle connerie!

Israël est à la pointe du recyclage des eaux usées tandis qu’à Gaza l’eau de mer coule des robinets. On parle de discrimination et de scandale humanitaire… Internet croule d’articles sur le sujet (ici ou ici) et pourtant à Tel-Aviv l’évocation de cette guerre se transforme en concours de t-shirt mouillé!

Pour en sa(voir) plus sur cette #waterwar voici la page facebook de l’évènement et un article de Haarezt (in english) aussi intéressant que nuancé sur son interprétation.

Quand les murs de cette ville me parlent « d’humanité » c’est au sujet des animaux; Et quand on m’évoque la « Guerre de l’eau » c’est pour parler trempette… Drôle d’impression. Comme si le contexte n’était qu’une chose extérieure -volontairement?- confinée au loin.

Comment expliquer ces décalages?

Peut-être est-ce simplement l’habitude. Après tout vivre à Tel-Aviv c’est vivre dans la lassitude d’une ambiance de conflit qui dure depuis tellement longtemps que la plupart des habitants n’ont connu que ça… alors comme ça à l’occasion, les problèmes de voisinage remontraient naturellement comme le marronnier des priorités quotidiennes. Peut-être aussi parce que je venais de passer 10 jours en Cisjordanie. D’ailleurs je ne sais pas combien de Telavivien y ont mis les pieds… mais la force et la rapidité des contrastes dans un territoire si petit attirent forcément l’œil.

En temps normal les terrasses sont pleines; des passants fument leurs trucs et des avions de chasse fendent le paysage. Cette bulle tourne le dos à ce qui l’entoure… et s’il est pleinement légitime de vouloir sortir, s’amuser et vivre en paix je ne pensais pas que le décalage puisse être aussi fort. Eytan Fox y voit un « mécanisme de survie ». Pourquoi pas… comme si la superficialité poussait au supportable une perpétuelle situation de guerre. Mais à rester trop longtemps dans une bulle l’air devient vicié.

La prochaine fois je n’irai voir que la mer.

TelAviv-PanoramaPlage

Tranquillité sur la plage de Jaffa… et à quelques kilomètres au sud: Gaza.

Prochain arrêt Jérusalem.